Les Gardiens de la Galaxie ou les Peter Pan de l’espace 

Le diptyque des Gardiens de la Galaxie (2014 et 2017) illustre à merveille la puissance de l’imaginaire au cœur du mythe. Si la structure trifonctionnelle demeure toujours à l’arrière fond de l’œuvre, elle ne tient pourtant plus la place dorsale des récits mythologiques comme nous venons d’analyser pour les Avengers. La variation épique que propose James Gunn, metteur en scène connu notamment pour sa parodie des films de super-héros Super (2011), prend en vérité une tournure plus humoristique et féérique sans tomber dans la dérision. Pour cela, le cinéaste choisit de faire des Gardiens une transposition du conte Peter Pan dans l’espace galactique, équivalent ici au pays imaginaire de Neverland. Outre le fait que le personnage principal porte aussi le prénom de Peter (de son nom Quill, c’est-à-dire porc-épic, et non Pan en référence au dieu grec), il incarne parfaitement le jeune garçon qui refuse de grandir entouré de ses compagnons, les Enfants Perdus, ici Drax, Gamora, Nébula, Rocket et Groot. Toutefois, cette transposition ne reproduit pas à identique le message rassurant du conte qui promettait non seulement un retour indemne au foyer familial mais aussi le renouvellement éternel de l’expérience de Neverland d’une génération à l’autre, ce pour Wendy puis pour sa fille, sa petite-fille etc. Dans Les Gardiens de la Galaxie, les enfants sont bel et bien perdus, enlevés ou abandonnés dans l’immensité du vide interstellaire. Aussi, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de compter les uns sur les autres et former eux-mêmes une famille, aussi étrange et discordante que celle-ci semble être. Mais plus qu’une simple référence un peu lointaine au conte, le film va entrer dans un dialogue fort fructueux avec l’adaptation cinématographique de Peter Pan réalisée par Disney en 1953. Contrairement aux autres œuvres Marvel, qui fonctionnaient sur des résonnances et des variations visuelles, James Gunn choisit cette fois de se servir de la musique afin d’entamer sa discussion esthétique avec le dessin animé. En effet, la bande originale du film, ponctuée de célèbres chansons pop des années 70-80, va devenir le fil rouge de la narration, à la manière des Disney classiques.

La première image du film, après le carton indiquant le lieu et le temps de l’action, est un gros plan sur le fameux walkman, première génération (modèle TPS-L2) que le garçon, Peter Quill, tient entre ses doigts crispés. En même temps, la douce chanson I’m not in love des 10cc, un groupe de pop-rock britannique, plonge le spectateur dans un univers faussement rassurant qui va être contredit dans la suite de la séquence. De fait, le jeune enfant se trouve à l’hôpital et va devoir assister à la mort de sa mère avant de se faire enlever par les pirates de l’espace surnommés les Ravageurs. La musique fonctionne donc ici en contrepoint de la scène : refuge du petit garçon face à l’inéluctable, elle représente aussi son refus de se laisser submerger par la tristesse à travers les paroles lancinantes qui répètent inlassablement qu’il n’est pas amoureux et que les grands garçons ne pleurent pas (big boys don’t cry). La réunion des contraires dans une même image, à travers une même chanson restera la marque esthétique fondamentale de toute l’œuvre.

Bien entendu, le personnage aime sa mère et va pleurer son trépas mais son déni flagrant, pris en charge par la chanson, rend le déchirement émotionnel d’autant plus fort entre l’acceptation impossible de la séparation et l’oubli impossible de sa mère. Ses sentiments contradictoires vont si loin qu’il refuse de prendre la main tendue de sa mère mourante et d’ouvrir son cadeau d’adieu avant de s’éclater en sanglot au moment fatidique. En cela, il nous montre combien il ressent à la fois de l’amour et de la haine pour sa mère dont la mort est prise comme une preuve d’abandon mais aussi comme la conséquence d’une faute, celle du sentiment égoïste de vouloir garder sa mère pour lui seul. Si le présent maternel n’est ouvert qu’à la fin du film, la cause réside dans la peur de Peter de voir se confirmer sa crainte profonde d’être réellement abandonné. Son blocage émotionnel va avoir besoin de tout l’espace et du temps cinématographique pour pouvoir être surmonté et se transformer en une compréhension et une acceptation pleine et entière de l’amour maternel.

Entretemps, tout comme Peter Pan, Quill est devenu un pirate puisqu’il a été adopté par le capitaine des Ravageurs, Yondu Udonta. Ce dernier est une version complètement indien-punk du Capitaine Crochet avec sa crête magique, sa peau bleue (et non rouge) et son manteau en cuir rouge sombre. Tout comme Crochet, il veut se venger de Quill qui ne lui a certes pas coupé la main mais seulement l’herbe sous les pieds en volant avant lui l’orbe qui contient l’une des six Pierres d’Infinité. Ce faisant, Quill fait comprendre à son père adoptif qu’il va désormais prendre son indépendance et voler de ses propres ailes, pour faire lui-même ses propres casses. Son cambriolage en solitaire correspond d’ailleurs au générique d’introduction du film comme pour nous suggérer qu’une nouvelle page de sa vie s’est tournée. Cette scène, située 26 ans après l’enlèvement du garçon sur une planète appelée Morag, débute comme un film d’aventure, à la manière d’Indiana Jones: Les aventures de l’Arche Perdu. Cependant, la mise en scène surprend le public lorsqu’elle détourne le genre en introduisant dans ce générique la chanson des Redbone, Come and get your love, que Peter écoute sur son walkman vintage conservé depuis un peu plus d’un quart de siècle. En cela, le film insiste sur l’importance non seulement de cet objet pour notre pirate mais aussi de la musique dans la construction de l’œuvre cinématographique. En effet, la chanson donne le ton au spectacle : à la fois léger et décalé, il cherche à égayer malgré les souffrances et les frustrations que le personnage porte en lui-même. Plus encore, ce chant qui appelle la danse correspond également à un processus de libération de l’esprit par le corps afin de ne pas sombrer dans la mélancolie et de surmonter les douleurs passées.

Ce plan de grand ensemble fait apparaître le titre du film en caractères gigantesques qui écrase le personnage de Peter Quill, réduit à une minuscule figure qui agite ses bras dans une sorte de danse absurde et bouffonne. Le contraste fait sourire mais plus qu’une blague, la composition de l’image nous fait comprendre que notre petit hors-la-loi doit absolument grandir pour pouvoir être à la hauteur de la responsabilité qu’il va devoir endosser, celle d’un gardien de la galaxie. Une fois de plus, James Gunn introduit plusieurs niveaux de tension afin de créer une sorte de polyphonie des significations en opposant l’image à l’image et l’image au son.

Toutefois, cela ne veut pas dire mettre fin à la légèreté d’esprit et à la gaieté. Les paroles de la chanson, qui débutent d’ailleurs au moment précis de l’apparition du titre sur l’écran, évoquent une certaine folie douce qui divertit les spectateurs et les exhorte à aller de l’avant. Le choix de Come and get your love ne semble pas être un hasard. Ce genre de chanson pop au rythme entraînant existe par milliers dans la culture américaine et si James Gunn a jeté son dévolu sur ce tube des Redbone, groupe composé de musiciens tous d’origine amérindienne, nous pourrons y voir un écho à la chanson What makes the red man red ? dans le Peter Pan (1953) de Disney. Cette scène de chant et de danse des enfants dans un camp indien a fait récemment l’objet d’excuses publiques de la compagnie Disney World pour représentation raciste et stéréotypée dans certains de ses classiques. Ainsi, la société de divertissement fait passer l’idéologie avant la signification véritable et la dimension fantaisiste de l’œuvre. En quoi, ceux qui ont diffusé ces excuses sont passés totalement à côté de leurs propres chef-d’œuvre dont ils devraient être fiers et non avoir honte. Si l’on observe bien la séquence quasi-cartoonesque de la chanson, force est de constater qu’elle est plein d’humour et de volonté de réconciliation qui porte un message profondément pacifique de Walt Disney cinéaste à un moment où les certains westerns continuent à représenter des Peaux-Rouges comme des meurtriers sauvages. Les paroles même de la chanson restent empreintes d’intérêt des enfants pour l’autre : pourquoi l’homme rouge est rouge ? Pourquoi dit-il « how » (comment en anglais) ? Les réponses des Indiens prennent dès lors une tournure enfantine et tout à fait mythique, à savoir que l’Indien dit how parce qu’il veut connaître avant de faire quoi que ce soit et qu’il est rouge parce que, bien longtemps déjà, le prince indien est devenu rouge de timidité lorsqu’il fait la rencontre d’une princesse. Même si certains qualifieront ces explications de puériles et chimériques, elles sont en vérité loin d’être idiotes parce qu’elles s’adressent aux deux désirs les plus fondamentaux de l’être humain : celui du savoir et celui de l’amour. En cela, Walt Disney ne dit rien d’autres aux jeunes générations qu’il faut dépasser la haine et l’ignorance de l’autre en essayant d’apprendre de lui et de s’intéresser à lui. Qu’avaient donc les héritiers du cinéaste à s’indigner de sa déclaration ?

Pour revenir aux Gardiens de la Galaxie et à la chanson Come and get your love, nous pouvons constater qu’elle fonctionne sur le même principe que What makes the red man red ? Pour plus de clarté, nous reproduisons ci-dessous le texte en anglais :

Come and get your love (4x)
Hail (Hail), what’s the matter with your head, yeah
Hail (Hail), what’s the matter with your mind and your sign
Hail (Hail), nothin’ the matter with your head
Baby find it, come on and find it
Hail, with it, baby, ’cause you’re fine
And you’re mine, and you look so divine

Come and get your love (4x)
Hail (Hail), what’s the matter with you feel right
Don’t you feel right, baby
Hail, oh yeah, get it from the main vine, all right
I said-a find it, find it, go on and love it if you like it, yeah
Hail (Hail), it’s your business if you want some, take some
Get it together, baby

Come and get your love
Come and get…

Notons que ces paroles ne nous racontent pas une histoire précise mais introduisent beaucoup d’exclamations en début de phrase (les nombreux hail soulignés par la forme de question-réponse entre le chanteur et le chorus), de répétitions (what’s the matter with your…) tout en insérant de petites variations en fin de phrase, de rimes et d’allitération (mind/sign, find/fine/divine…). En cela, la chanson prend la forme d’un chant rituel indien[1], scandé de manière répétitive et rythmée en vue d’égayer l’esprit et d’abolir les barrières psychiques des individus, les poussant ainsi d’aller vers les autres et s’affranchir de leur solitude intergalactique. Par-là, elle résume parfaitement la quête de Peter et de tous les membres des Gardiens de la Galaxie dans ce premier volume : plus qu’une recherche de soi, leur aventure spatiale correspond à la recherche d’une communauté, d’un jardin de l’amitié au sein duquel chaque individu peut croître et se reconnaître dans les yeux des autres. Toutefois, fidèle à sa tonalité ironique, la mise en scène va nous présenter de façon bien différente ce jardin d’Epicure en le transposant dans une prison de l’espace.

Arrêtés par les gardes de la Nova Corps pour trouble à l’ordre public lors de leur bagarre au milieu des rues pour la possession de l’Orbe, Peter, Gamora, Rocket et Groot vont tous être jetés en prison. Ce sera l’occasion pour les mythologues de nous présenter proprement les super-héros hétérodoxes de cette épopée carnavalesque qui, contrairement aux Avengers, demeurent encore quasi-inconnus au grand public, sauf pour les fans inconditionnés. Défilent dès lors successivement dans la séquence suivante leurs portraits en criminel endurci faits par un gardien de la paix de l’Empire Nova. L’inversion par rapport aux justiciers traditionnels que représentent les Avengers est complète : non seulement ces « Gardiens » de la Galaxie sont d’authentiques bandits sans foi ni loi mais ils sont en grande partie fiers de l’être tant ils méprisent l’ordre et la loi.

Commençons par Gamora. Adoptée par Thanos après que ce dernier a massacré la moitié des habitants de sa planète d’origine incluant ses parents, elle devient une véritable machine à tuer sous ses ordres, jusqu’au jour où, envoyée récupérer l’Orbe contenant la Pierre de Pouvoir, elle le trahit afin de freiner Thanos dans son projet de génocide intergalactique. Son attitude hautaine et statique respire ici le dédain pour tout y compris son incarcération, ce qui n’est au fond qu’un masque pour cacher ses véritables émotions afin de pouvoir survivre. Sa rencontre avec Peter et sa musique va faire disparaître peu à peu sa cuirasse. Ensuite, nous faisons connaissance avec Rocket (ou Sujet 89P13) un raton-laveur génétiquement modifié, doté d’une intelligence supérieure qui le rend capable de parler et de construire des armes ainsi que des machines sofistiquées. Tout comme Gamora, Rocket méprise tout : durant son identification, il nous le montre bien en crachant par terre. Toutefois, son comportement ne fait que dissimuler sa faiblesse à savoir son besoin d’affection même s’il a une tendance à mordre comme le précise sa fiche d’identité judiciaire. Passons enfin à Groot, une plante humanoïde dont le vocabulaire est réduit à « Je suis Groot ». Il est un proche de Rocket et reste un personnage surprenant de l’épopée : malgré son langage peu évolué et ses expressions pour le moins primitives, il est capable de comprendre des choses bien profondes telles que la fraternité, l’héroïsme ou le sacrifice de soi. A travers tous ces portraits, il apparaît qu’au-delà de leur différence, tous les personnages ont été déracinés, arrachés à leur milieu d’origine. Aussi, chacun essaye tant bien que mal à retrouver un équilibre en dépit de leur colère, leur haine et leur sentiment de culpabilité d’avoir survécu aux êtres chers. Leur séjour commun dans la prison de Kyln va souder leur amitié, amitié que la chanson Hooked on a feeling nous présentera de manière tout à fait ironique. Alors que les quatre super-héros traversent les couloirs de la prison lors de leur arrivée, Peter surprend un geôlier en train d’écouter la musique avec son fameux walkman. Il entre dès lors dans la chambre des gardes pour réclamer non seulement son appareil mais aussi le morceau Hooked on a feeling, version de 1973 interprété par le groupe suédois Blue Swede, qui nous est passé à ce moment-là en l’arrière-plan sonore.

Face à son attitude impertinente et revendicatrice, le garde va tout simplement le taser. La mise en scène choisit de faire basculer à cet instant précis la musique diégétique à un niveau extra-diégétique : le raccord son se fait ici entre le cri de douleur de Peter et celui du plaisir de la chanson. De ce fait, la chanson devient littéralement un commentaire ironique de leur situation présente. En passant d’un degré narratif à l’autre, le chant nous détache de la scène pour nous proposer un autre point de vue sur elle. Si les paroles parlent de la sensation d’étourdissement et d’ivresse causée par l’amour, nous voyons bien à quel point cette scène en est éloignée. L’amour qu’offrent ou reçoivent les personnages ne se montre donc jamais de façon pure et directe, il demeure toujours dans ce mélange des contraires, entre plaisir et douleur, entre affection et détestation, entre estime et mépris, entre tendresse et violence que vont connaître les super-héros durant leur séjour dans ce « jardin » puis pendant tout le reste du film et ce, jusqu’à sa dernière image.

Pourtant, c’est dans cette prison que les Gardiens vont apprendre à mieux se connaître, à s’apprivoiser progressivement et même à s’unir dans un projet commun, celui de s’échapper de leur lieu de détention. Les quatre compères vont être rejoints dans leur dessein par Drax le Destructeur, un guerrier extraterrestre puissant qui ne vit que pour venger sa famille, massacrée par Ronan. Brûlé par sa rage de vengeance, il s’en prend à Gamora puisque celle-ci est la fille adoptive de Thanos, le patron de Ronan l’Accusateur. Grâce au boniment de Peter, Drax l’épargne en espérant pouvoir retrouver son ennemi juré lorsque ce dernier viendra rechercher celle qui l’a trahi. L’alliance des super-héros semble donc être bâtie sur un sol bien peu solide. Néanmoins, leur coalition va prendre forme de façon tout à fait improbable et surprenante, à l’instar de la scène de leur évasion.

Ce plan réunit pour la première fois les cinq Gardiens de la Galaxie, pourtant, ils ne semblent pas pour autant être sur la même longueur d’onde. Bien qu’ils se situent dans le même espace, l’image nous indique leur manque d’unité grâce à la tension qu’elle instaure entre l’avant plan et l’arrière-plan. En effet, pendant que Rocket est en train d’expliquer à ses compagnons son plan, Groot commence déjà à le mettre en exécution au fond du plan devant les yeux pleins de curiosité de Drax. A cause de leur défaut de coordination et de compréhension mutuelle, les geôliers vont être immédiatement alertés et mettre à mal leur évasion. Pour davantage marquer le jeu de rupture et de continuité, la mise en scène introduit d’ailleurs un prisonnier lamda qui entre dans le champ par la droite et qui reçoit sur sa tête, avant de s’écrouler, le panneau électrique que Groot jette par-dessus son épaule. Par-là, le cinéaste s’assure de la transition visuelle entre l’avant et l’arrière-plan afin que tous les spectateurs saisissent bien l’enjeu de cette image.

Après leur évasion pour le moins fracassante, les Gardiens ne sont pas devenus des amis pour autant mais seulement des compagnons de routes par fortune et de contrecœur puisque chacun a besoin de l’autre pour obtenir ce qu’il veut : Drax sa vengeance, Gamora sa liberté, Rocket, Groot et Peter une part du butin (4 milliard d’unité d’or) dans la vente de l’Orbe. Toutefois, au fil du voyage et de l’aventure, leurs relations vont peu à peu évoluer vers une amitié sincère, voire l’amour véritable entre Peter et Gamora. En ce qui concerne ce dernier cas, tout commence comme d’habitude par une parodie de scène de séduction, avec musique d’ambiance romantique et un balcon avec vue sur la galaxie. Sauf que le charme habituel ne va que très médiocrement fonctionner à cause du décalage spirituel et culturel entre les deux personnages.

Puisque leur échange a bien débuté avec l’évocation des souvenirs douloureux réciproques, Peter souhaite faire partager sa musique à Gamora qui, en tant que guerrière et assassin, ignorait jusqu’à l’existence et son utilité. Pour lui faire comprendre son déficit, notre pirate lui parle de ce qu’il considère comme une légende terrienne, Footloose, un film de 1984, film dans lequel Kevin Bacon joue un jeune lycéen épris de musique et de danse prisonnier dans une société rurale puritaine américaine dans les années 80. Par son énergie et son talent, il parvient à persuader cette communauté conservatrice que le rock’n’roll et la danse ne mènent pas nécessairement au péchés et à la dépravation morale. En s’identifiant au héros du film, Peter veut lui aussi décoincer Gamora, en lui enlevant « le balai dans les fesses ». Or celle-ci ne comprend pas la métaphore et se demande qui a pu mettre ces balais à cet endroit tout en trouvant ce traitement cruel. Exaspéré, Quill lui met le casque sur les oreilles pour lui faire écouter Fooled around and fell in love un morceau d’Elvin Bishop de 1975, qui parle d’un charmeur qui tombe à son tour amoureux d’une fille de manière incontrôlable[1]. Une fois de plus, la mise en scène procède par rupture en déroutant l’attente des spectateurs car en croyant que sa musique n’est qu’un tour de sorcellerie, Gamora dégaine son couteau et se prépare à égorger Peter. Au lieu d’une scène de séduction classique où la musique fait office de déclaration d’amour implicite, nous nous retrouvons devant une mécompréhension intersidérale, ornée en contrepoint par la galaxie en arrière fond, tant les deux personnages se situent pour l’instant dans des univers mentaux et émotionnels totalement incompatibles. Tout comme la scène de l’évasion précédente, sa séduction arrive au mauvais moment : le timing n’est pas encore le bon. Ce jeu de rupture et du détournement va se prolonger ainsi dans toutes les scènes et ce, jusqu’au dénouement du film avant de réaliser un mouvement d’unification in extremis qui réconcilie non seulement les super-héros entre eux mais aussi et surtout Peter avec lui-même. Ayant échoué à empêcher Ronan d’atterrir sur Xandar, l’ultime recours de Peter reste encore la musique : pour distraire et empêcher le vilain de détruire la planète avec son marteau serti désormais de la Pierre de Pouvoir, notre Star-Lord se met à danser sur l’air d’Oh oh Child (Five Stairsteps, 1970) qui passe en arrière-plan sonore. Ce qui peut sembler être très malvenu et prémisse à un autre mauvais timing devient dès lors tout à fait opportun puisque par sa danse totalement inappropriée, notre héros réussit à détourner l’attention de son adversaire afin de permettre à ses compagnons d’avoir assez de temps pour détruire l’arme de Ronan avant qu’il ne commette l’irréparable. Cette astuce quelque peu loufoque et excentrique crée dès lors un contraste fort avec la scène héroïque qui suit car en profitant de la surprise de l’Accusateur, Peter s’empare de la Pierre mais il est soumis à d’atroces souffrances tant la puissance de la Pierre dépasse sa résistance.

Pour insister sur la véritable signification de ce dénouement, le cinéaste laisse une fois de plus la place à la musique. Enfin prêt à regarder son passé en face, Peter Quill peut ouvrir le paquet cadeau que sa maman lui a laissé au moment de leurs adieux. Il y trouve une lettre ainsi qu’une autre cassette de compilation de chansons pop dont la première chanson est Ain’t no mountain hign enough interprétée par Marvin Gaye et Tammi Terrell en 1967 pour crier haut et fort leur amour démesuré. Tout comme Wendy, ses frères et les Enfants Perdus, Peter et les autres Gardiens peuvent désormais retourner chez eux, non pas dans un foyer concret et réel mais en eux-mêmes, rassurés désormais qu’ils sont véritablement dignes d’être aimés. De ce fait, l’avant dernier morceau du film, qui débute un nouveau cycle pour les héros, répond en quelque sorte ici à la chanson Your mother and mine dans Peter Pan (1953) interprétée par Kathryn Beaumont (la voix de Wendy). Cet air plein de nostalgie lyrique intervient dans un moment crucial de l’œuvre : alors que les enfants se sont « ensauvagés » (d’où leur déguisement avec des peaux de bêtes) à trop vouloir jouer jusqu’à oublier leur propre mère, Wendy leur chante cette petite berceuse qui dure à peine plus d’une minute et réussit par-là à les faire remémorer du tréfonds de leur âme l’amour maternel (y compris aux pirates du Capitaine Crochet cachés dans les environs) et les décider à quitter Neverland. Toutefois, ce retour vers la mère ne signifie aucunement une régression dans l’œuvre de Disney. Au contraire, retourner dans sa famille renvoie plutôt à la possibilité de grandir et non à stagner dans l’éternelle jeunesse du royaume magique de Peter Pan. Même si Ain’t no mountain high enough ne possède pas le lyrisme empreint de classicisme de Your mother and mine, il tire la source de sa puissance évocatrice de la déclamation issue de la tradition du gospel. De là, son utilisation tout à fait analogue à Your mother and mine puisqu’il rappelle à Quill l’infini amour maternel, certes quasiment absent tout au long du film, mais qui persiste néanmoins à son arrière fond malgré le déni permanent du personnage. En cela, la transposition super-héroïque du conte Peter Pan a fait un pas de plus par rapport au récit d’origine : tous méritent de trouver une famille, même notre Peter Pan de l’espace, cet éternel adolescent. Alors qu’il doit encore et toujours continuer à dériver sur les mers galactiques, il ne sera jamais plus un enfant perdu et abandonné parce qu’il a su retrouver l’étincelle de l’amour au fond de lui-même.

Cependant, l’odyssée des Gardiens ne se trouve pas pour autant achevée et la promesse de leur retour dans le volume 2 nous apparaît sous le signe de la maturation. Celle-ci se résume dans une chanson et un plan fixe qui concluent l’œuvre, juste avant le générique de la fin. Déjà amorcé dans le plan précédent, lorsque les Gardiens s’envolent dans leur vaisseau spatial vers de nouveaux cieux, le morceau I want you back des Jackson Five (1969) nous entraîne avec son rythme syncopé typique du funk aussitôt vers un ailleurs. Or cet ailleurs va se raccorder de manière étrange avec cette image suivante :

Encore endormi et replié sur lui-même, Baby Groot se réveille progressivement au son de la musique pour se lancer dans une chorégraphie digne de Michael Jackson enfant. Ainsi, le film nous témoigne ici d’une double renaissance : d’une part, celle du petit Groot après son sacrifice pour sauver ses amis, d’autre part, celle des autres membres de l’équipage qui vont pouvoir renaître à eux-mêmes à travers lui et avec lui, à la fois dans la vitalité de sa jeunesse et dans le mûrissement de leur amour réciproque. Pourtant, l’approfondissement de ce sentiment ne se fait pas sans contradiction, sans heurts ni oppositions, aussi le film élabore une fois de plus une tension au sein de l’image, en contrepoint avec la musique. Alors que Groot se laisse emporter par la musique et se déhanche au premier plan, Drax ne semble aucunement touché par le rythme et continue à nettoyer son couteau de manière imperturbable au second plan. Et si Drax hasarde à jeter un coup d’œil en direction du petit plan en pot, ce dernier va se figer instantanément, ce qui va instaurer une tension ambiguë entre les deux personnages, tension qui se situe aussi bien dans l’ordre du jeu que de celui du rejet.

Le dernier plan du film résume ainsi son enjeu central tout en introduisant le second volet puisque ce plan se situe juste après le carton d’annonce du retour des Gardiens. Par-là, James Gunn nous indique par avance une certaine continuité entre ses deux œuvres, ce notamment dans son exploration de l’ambiguïté des sentiments humains. La renaissance de Baby Groot nous témoigne dès lors, plus qu’un retour de nos héros dans le Vol. 2, la pérennité de cette problématique : d’une génération à l’autre, nous avons chacun à faire face à l’étrange énigme de notre déchirement intérieur entre l’amour et la haine ressentis simultanément pour un autre être humain. D’ailleurs, fidèle à son style en contrepoint, James Gunn introduit dès la première séquence du deuxième épisode l’équivoque de la passion fusionnelle et de la séparation inévitable grâce à la musique, avant de revenir plus précisément sur la relation qu’entretiennent les membres des Gardiens de la Galaxie avec Baby Groot, l’enfant de tous, dans une séquence des plus époustouflantes du film.


[1] Et cela dès le premier couplet :

I must have been through about a million girls
I’d love ’em and I’d leave ’em alone
I didn’t care how much they cried, no sir
Their tears left me cold as a stone
But then I fooled around and fell in love


[1] Dans un live de 1974, nous voyons notamment le groupe jouer ce morceau en commençant par une danse rituelle indienne dans leur costume cérémonial : https://www.youtube.com/watch?v=Dj0drevGOgA

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