Iron Man 2 et 3 : où le lecteur apprend que le mythe, tout comme son héros, sait aussi faire retour sur lui même

Le thème de l’autodestruction ou de la tragédie de la culture, pour reprendre une expression de Georg Simmel, se poursuit également dans Ironman 2 (2010) où, empoisonné progressivement par le palladium, composant essentiel de son cœur mécanique, Stark se meurt par ce qui était censé le sauver. Le film le met une fois de plus face à sa finitude et l’invite à faire un nouveau voyage mais cette fois non pas à l’autre bout du monde mais dans le temps en tant qu’essence mortelle de l’homme. C’est ainsi que le film s’ouvre avec la question de l’héritage, question qui demeure le fil rouge de tous les Iron Man et même au-delà de sa disparition avec Spiderman, son fils spirituel. Conscient de sa possible disparition, Tony relance le Stark Expo initié par son père, Howard, afin de perpétuer son œuvre et de donner un sens à ses réalisations, un sens au-delà de son existence limitée hic et nunc. De fait, par un procédé rhétorique, le show man Tony Stark fait semblant dans son discours de refuser les honneurs et l’autocélébration pour mettre en valeur la visée principale et unique de la Stark Expo : le patrimoine que l’humanité contemporaine peut léguer aux générations futures.

En laissant à son père, via une vidéo datant de 1974, le soin d’introduire la Stark Expo, Tony tente de jeter un pont entre le passé et le futur par-delà son pur présent. L’odyssée que propose Iron Man 2 nous place ainsi dans la perspective homérique qui veut exprimer « ce qui est, ce qui sera et ce qui était », c’est-à-dire le tout du temps. Dès lors, cette question de l’héritage intergénérationnel installée dès l’ouverture permet de dépasser l’espace même du film pour nous arracher à notre présent étriqué et à notre individualité monadique « sans porte ni fenêtre » afin de renouer chacun avec le tout historique des hommes.

Le rapport problématique à la création technologique rejoint ici celui de la filiation pour élargir ainsi le questionnement moral du super-héros. Non seulement il doit faire face à lui-même et à son angoisse de mort mais il doit pareillement affronter son lègue et par conséquent, faire face aussi bien à la génération précédente qu’à la génération suivante. Hériter et transmettre, telle est sa tâche devant l’histoire humaine, tâche également impartie à chaque être humain digne de ce nom. Mais face à l’immensité de l’entreprise, il lui arrive de paniquer et de vouloir tout abandonner en déchargeant toutes responsabilités à ses proches, notamment à Pepper en la nommant PDG de son groupe ou à Rhodey en le laissant prendre une de ses armures.

En effet, les pères Vanko et Stark étaient collaborateurs lors de la construction du réacteur Arc qui, une fois miniaturisé, permet d’alimenter le cœur d’Iron Man. Alors que Stark Senior a connu la gloire et la fortune, Vanko père n’a fait que subir la déchéance et l’exil, aussi son fils est revenu pour prendre sa revanche et détruire l’héritage de Stark Industries. Même si Blacklash a perdu à Monaco face à Iron Man, Ivan semble avoir pris le dessus sur Tony car il a su montrer au monde entier que Stark Industries ne sont plus les seuls à posséder cette technologie de pointe et qu’Iron Man n’est plus aussi invincible qu’auparavant. En ce sens, Vanko représente l’usage radical et extrême du lègue technologique qui ne sert qu’à assouvir son appétit pour la destruction et de soi et des autres. Ce qui lui manque est la prise de distance par rapport à son passé, si bien qu’il reste incapable de pardonner et d’offrir à l’avenir autre chose que la mort et la dévastation. Le défi de Tony résidera donc dans sa capacité à dépasser et le présent hic et nunc et le passé pesant en les intégrant dans un projet en vue de garantir un futur. Sa réponse véritable face à la mort imminente va prendre dès lors une fois de plus la forme de la renaissance, qui n’est plus religieuse cette fois mais celle d’une expression cinématographique de la totalité temporelle.            

Sur les conseils de Nick Fury, le Directeur du SHIELD, Tony se plonge dans les archives de son père afin de découvrir son authentique lègue. Tout en vérifiant les calculs et les notes manuscrites, il repasse les rushes du film d’introduction à la Stark Expo 74 où Howard Stark délivre son discours mille fois répété. Le metteur en scène s’amuse ici à nous montrer tous les soucis et embarras sur un plateau de tournage : l’exaspération de l’acteur à devoir réitérer de nombreuses fois, ses trous de mémoire, les entrées intempestives dans le champ d’éléments indésirables tel que le jeune Tony Stark…

Alors que le spectateur est, tout autant que l’acteur, de plus en plus épuisé et désespéré, le film surprend tout le monde en délivrant un message par-delà la mort. Interpellant personnellement son fils, le père lui fait savoir que l’œuvre de sa vie est consignée dans cette maquette de la Stark Expo 74 et qu’il compte sur lui pour achever son entreprise car limité par la technologie de son temps, il n’a pas pu la mener jusqu’au bout. Ainsi, la mise en scène se réserve ici le droit de placer une réflexion sur le pouvoir du cinéma. En plaçant le projecteur dans le champ, à gauche, elle indique clairement aux spectateurs sa fonction à la fois mémorielle et communicationnelle qui permet à l’homme d’enjamber l’espace et le temps afin de ressusciter les morts, non pour toujours, seulement un instant bref mais glorieux pour crier leur amour pour les vivants par-delà l’abîme de la séparation absolue.

La renaissance de Tony peut dès lors s’accomplir : grâce au message dissimulé de son père, il parvient à redécouvrir un nouvel élément chimique capable de remplacer le palladium. Cette renaissance réelle s’accompagne de fait d’une autre renaissance, au sens historique cette fois, car grâce au cinéma, Tony réussit à jeter un pont entre passé et présent pour s’assurer de la possibilité du futur. Contre toutes les positions radicales et révolutionnaires pour qui l’avenir doit se construire sur les ruines du passé, le film ne cesse de rappeler, à travers la question de l’héritage, l’intrication indémêlable entre les dimensions du temps, celle-là même qui fait la richesse de l’histoire et de la culture humaine. Le sens du projet de la mythologie Marvel se résume entièrement dans cette renaissance artistique qui veut s’appuyer sur les formes du passé pour créer dans notre présent l’espoir du futur, c’est-à-dire, en d’autres termes, suivre les Muses pour raconter « ce qui est, ce qui sera et ce qui était ». Par-là, le mythe mise sur le progrès contre l’innovation qui fait de la nouveauté une valeur absolue et ce, en dévalorisant et en niant le passé. Tout au contraire, l’odyssée temporelle que représente Iron Man 2 initie un mouvement qui va se déployer au fur et à mesure des épisodes de l’épopée pour les intégrer progressivement au sein de la totalité historique de l’univers mythologique lui-même. En ce sens, cette scène emblématique de toute la mythologie Marvel est à la fois un art poétique du mythe et une invitation aux jeunes générations à trouver dans les œuvres de leurs pères les leviers solides pour faire face à leur angoisse de mort, leur sentiment d’isolement et d’être abandonné. La transmission représente ainsi la réponse ultime du mythe au problème de l’individualisme et de la dissociété et le cinéma son instrument le plus puissant pour réunir notre espèce et redonner un sens au progrès et à l’humanité à l’ère de la révolution numérique. Cette réponse sera d’ailleurs reprise et variée dans Iron Man 3 (2013) en faisant confronter Iron Man à l’un des dangers des plus actuels pour notre civilisation à savoir le posthumanisme.            

Le dernier volet de la trilogie nous entraîne encore une fois dans un voyage mais qui n’est plus ni spatial ni temporel. En s’ouvrant avec la voix off de Stark sur un fond noir, les spectateurs sont plongés pour ainsi dire dans sa mémoire et sa conscience qui confesse sa crainte au sujet la création par l’homme de ses propres démons. Dès le prologue, avant même le générique si unique de Marvel Studios, l’ensemble des thématiques nous sont présenté : la mauvaise conscience, la malédiction technologique et l’angoisse de la destruction (d’où l’image au ralenti de l’explosion successive des armures robotiques). Le film revient ensuite sur un événement précis : la rencontre de Tony avec Aldrich Killian, un entrepreneur et fondateur du think tank AIM (Advanced Idea Mechanics), et Maya Hansen, une chercheuse en biologie, à une conférence technologique à Bern le 31 décembre 1999. La date est évidemment symbolique car elle marque à la fois la naissance du nouveau millénaire et des « démons » dont parlait le super-héros. En ce sens, nous pouvons interpréter ce choix de la mise en scène comme une mise en abyme de notre situation contemporaine : dans l’allégresse de la révolution technologique et la foi dans le progrès à l’entrée d’une nouvelle ère, l’humanité n’a pas prêté attention à des potentiels maux qui ne vont plus cesser de la hanter jusqu’à aujourd’hui. En effet, l’entrepreneur et la biologiste vont combiner leur force, après le rejet d’une collaboration de la part de Tony Stark, pour se lancer dans un projet nommé Extremis qui a pour visée non seulement de perfectionner le corps humain dans un mouvement de progrès technique et scientifique sans fin, idéal classique des Lumières, mais surtout de mettre à jour (upgrade) l’esprit humain (mind) et de son code génétique à l’instar d’un programme informatique. Cette combinaison entre biologisme et intelligence artificielle en mobilisant la robotique, notamment grâce à des implants cérébraux, rappelle évidemment le projet que propose Ray Kurzweil, le patron de l’Université de la Singularité créée et financée par Google dans la Silicon Valley depuis 2008. L’utopie à laquelle nous pouvons réserver le terme de « posthumanisme » plutôt que transhumanisme, puisqu’il s’agit ici de créer une race d’homme nouvelle, réellement différente de la nôtre, quasiment immortelle et bien plus puissante qu’elle. De ce fait, le projet Extremis porte bien son nom car il cherche à pousser jusqu’à l’extrême les possibilités technologiques pour créer une nouvelle espèce humaine qui, par leur force, leur ruse et leur savoir, va régner sur les autres tout en restant dans l’ombre pour jouer les éminents gris. Le danger véritable s’avère autant politique qu’éthique : l’affranchissement des limites biologiques s’accompagne d’une volonté despotique qui arbore le masque du bienfaiteur tout en répandant la terreur. Ce n’est pas par hasard qu’Iron Mans 3 soit le seul film de toute l’épopée Marvel qui met en scène un Président des Etats-Unis. Victime de la manigance de Killian, ce dernier est trompé puis enlevé pour être sacrifié aux yeux du monde avant d’être sauvé par Iron Man et son ami James Rhodes (alias War Machine, rebaptisé temporairement Iron Patriote pour les besoins de la cause). De manière métaphorique, le mythe nous alarme ici sur la possibilité d’un renversement du pouvoir démocratique par une oligarchie technocratique qui met sur le bûcher le représentant de l’exécutif afin d’amener le Pentagone à accepter son invention et la mettre aux commandes. Pour ce faire, Killian invente un vilain, le Mandarin, terroriste intraitable qui menace les Etats-Unis avec ses attaques à la bombe et ses exécutions en direct à la télévision. En réalité, il s’agit d’une illusion bien habile qui permet à la fois de créer une diversion pour ses agissements et aussi de capitaliser la terreur afin de pouvoir se poser comme sauveur et vendre son remède Extremis. Autrement dit, en adroit entrepreneur, Killian pourra ainsi tenir aussi bien l’offre que la demande. Son opération relève donc d’une réelle machine de mystification qui use d’une main experte de l’art de la mise en scène cinématographique et du talent d’un acteur sur le déclin et totalement dépravé, Trevor Slattery, pour jouer le rôle du Mandarin. Tout comme l’Ulysse contemporain, le mythe contemporain doit affronter ici son double démoniaque, la mystification.

Lors de son arrivée sur les lieux du tournage situés à Miami, Tony est surpris de découvrir l’homme minable caché sous le costume du Mandarin. Le mythe s’amuse ici à humilier l’incarnation de la terreur : ridiculement chétif et voûté, habillé d’un pyjama bigarré, alcoolique et accrocs aux drogues, Trevor Slattery perd tous son aura hors de l’espace de la représentation. Même son costume du Mandarin, posé sur un mannequin derrière lui, trahit sa petitesse tant physique que morale. La revanche de l’art cinématographique est purement artistique, pourtant ce qu’il gagne n’est jamais fictif et imaginaire : sa victoire effective réside dans le rétablissement de l’authenticité face à la mystification mythico-utopique. Par-là, l’art nous libère à la fois de l’emprise du faux et de la terreur. Tel est donc son pouvoir qui use de la vraie représentation pour démasquer la fausse réalité.

Plus que de la dérision ironique, le film montre en filigrane la face dissimulée du posthumanisme qui est une mystification. Celle-ci s’avère à la fois terrifiante et ridicule. Terrifiante car elle instrumentalise notre crainte naturelle de la mort pour imposer sa volonté et étendre sur nous son empire technologique mais ridicule aussi parce qu’il s’agit d’une farce humaine de plus : vivre plus longtemps et en meilleure santé, voire échapper à la mort, certes ce sont des désirs quasi-naturels mais à quoi peut bien nous servir cette immortalité ? Selon le mythe, il est probable que, tout comme Trevor Slattery, nous nous noierons dans l’hétéronomie des plaisirs charnels, la dépendance à la drogue et le sport puisqu’il n’y a rien d’autres à espérer que de jouir de la vie. La condition posthumaine ne semble dès lors pas très enviable en ce qu’elle nous fait perdre notre perspective historique pour nous plonger dans la pure immédiateté de l’instant présent sans possibilité de sortir de soi. C’est en cela que l’éternité peut sembler longue, surtout vers la fin.

Contrairement à l’optique posthumaniste, Iron Man ne cherche pas à sortir de sa condition d’être fini mais simplement à prendre conscience de sa finitude et de l’affronter avec les seules armes qu’il possède : son intelligence et sa créativité. Miné par l’angoisse de la destruction totale depuis l’invasion des Chitauris et son bref passage à travers le portail cosmique (cf. Avengers), Stark subit régulièrement des crises d’attaques paniques dès qu’il entend parler de New York ou de trou de ver. Son armure reste dès lors la seule chose qui peut l’apaiser si bien qu’elle devient pour lui une sorte de cachette confortable devant un monde devenu incompréhensible et incertain. Il passe donc ses nuits à fabriquer un nombre incalculable de ces cocons robotiques, métaphores animées de sa dépendance à la fois psychique et physique à la technologie. De ce fait, l’armure représente pour Stark davantage qu’une « prothèse high-tech », selon sa propre expression. Elle lui sert en vérité de soutien psychique pour faire face à sa crainte de la mort, ce qui peut sembler pas si éloigné du projet des posthumanistes. Cependant, leur rapport à cette angoisse diffère sensiblement. D’un côté, on veut devenir immortel et se débarrasser de la finitude, de l’autre, on l’accepte non comme une fatalité mais comme la possibilité de transformer cette condition en créant des œuvres, aussi bien pour soi que pour la postérité. L’armure de Stark symbolise précisément cette œuvre qui, toutefois, n’est pas exempte d’ambiguïté.

Tombée en panne à la suite de l’attaque du Mandarin, l’armure devient un poids mort que Stark doit traîner derrière lui. La prise de vue en plongé à la verticale avec un cadrage de grand ensemble accentue la sensation d’écrasement et de lourdeur. De fait, ce plan exprime l’ambivalence de la technologie qui peut aussi bien alléger la vie que devenir un fardeau pour l’homme. Mais de manière plus spécifique, il attire notre attention sur le rapport complexe entre Stark et le costume d’Iron Man qui demeure à la fois sa source de puissance et une entrave à sa liberté et à son indépendance.

À cause du disfonctionnement de l’armure, Stark doit agir à visage découvert durant une bonne partie du récit. Ainsi livré à lui-même, il est obligé d’abandonner le cocon que représente sa cuirasse. Cette situation le met au défi de se tenir debout par lui-même et d’affronter ses peurs. La défaillance du costume se révèle être l’occasion pour lui de s’émanciper de sa dépendance technologique afin de reconquérir son indépendance spirituelle et sortir de sa phase maniaque de bricolage frénétique et obsessionnel. Notre Ulysse contemporain doit une fois de plus revenir à lui-même après s’être perdu dans ses nombreuses carapaces d’Iron Man. Son odyssée le mène dès lors jusqu’au garage d’un jeune garçon Harley Keener qui l’aide dans son enquête sur les agissements de Killian mais surtout à réparer l’armure Mark 42. Après la rencontre avec le présent dans Iron Man et avec le passé dans Iron Man 2, voici Stark face au futur. La question de la transmission à la nouvelle génération s’amorce ici comme une réponse à la mortalité de l’individu, question qui sera prolongée avec Spiderman. Pour le moment, la fraîcheur du jeune Harley déstabilise Tony car il est tout plein d’interrogations et de curiosité, ce qui provoque chez le héros des crises d’angoisse autant que de soulagement parce qu’il n’est plus seul face à son trouble. D’ailleurs, lorsqu’il est de nouveau saisi par une crise en apprenant que la batterie de son armure n’est pas chargée, le garçon parvient à le calmer en lui suggérant de construire quelque chose au lieu de rester river sur sa prothèse. Aussi Tony le Mécano (The Mechanic) troque son costume de super-héros pour celui du bricoleur et fait jouer la technique contre la technologie.

En d’autres termes, le super-héros est montré comme un artisan et un inventeur de nouvelles techniques plus qu’un innovateur de technologies. Cette différence peut être éclairée plus précisément grâce à la distinction heideggérienne entre l’usage de l’étant pour-la-main (Vorhanden) et celui de l’étant sous-la-main (Zuhanden). La technique, puisqu’elle nécessite un travail et un maniement régulier et minutieux sur l’objet, fait de l’outil une sorte d’extension de la main. Le bon artisan est d’abord celui qui sait manier avec habileté ses outils comme s’ils faisaient partis de son propre corps, un bon musicien est en premier lieu un virtuose de sa technique instrumentale avant de pouvoir laisser aller son inspiration lors de ses interprétations. En ce sens, la technique représente non seulement une extension de la main mais permet également l’élargissement du monde humain aussi bien matériel que symbolique. A mi-chemin entre le théorique et le pratique, entre la signification pure et l’expression pure, entre la connaissance et l’expérience factuelle, elle réconcilie ces deux pôles en introduisant l’ordre objectif des choses sur lequel l’homme exerce et développe sa volonté. Par-là, l’homme apprend à se reconnaître lui-même en tant que fabricant et artisan de ses œuvres. Autrement dit, la technique ouvre un monde exclusivement humain caractérisé par une connaissance pragmatique des objets, connaissance qui donne accès à une forme de reconnaissance de soi. A l’inverse, les objets technologiques ne sont plus pour la main même si l’on peut acquérir une certaine dextérité dans le maniement des Smartphones ou des ordinateurs : ils sont en vérité devenus des étants sous-la-main, c’est-à-dire qu’ils acquièrent une existence indépendante du maniement de l’individu tout en permettant d’étendre la puissance de l’homme sur les choses. En effet, leur usage est essentiellement destiné à délivrer l’utilisateur le plus rapidement et le plus aisément possible des désagréments du réel, des résistances factuelles et matérielles des choses pour rendre la vie humaine plus confortable et indépendante. Tel est le cas par exemple de toutes les applications inventées pour smartphones. Mais plus cette existence devient facile et commode, plus les objets technologiques deviennent également indépendants puisque désormais il existe une séparation irréversible entre la main expérimentée de l’homme qui sait animer l’outil et la machine autonome qui peut être manipulée par n’importe quel utilisateur. Par conséquent, la manipulation des appareils technologiques diffère du maniement des objets techniques en ce que les premiers, plus démocratiques, permettent une plus grande maîtrise sur les choses par le plus grand nombre en un temps plus court et que les seconds, plus héroïques, nécessitent une durée bien plus longue pour parvenir au savoir-faire requis, ce qui n’est pas à la portée de tous mais qui le rend admirable et précieux. Si une idéologie telle que le posthumanisme peut apparaître aujourd’hui avec l’annonce d’une possible hybridation de l’homme et de la machine pour créer enfin cet « homme nouveau » depuis si longtemps attendu, elle n’a pu être formulée qu’avec la séparation consommée et consentie entre la main de l’homme et les objets technologiques grâce à laquelle l’homme lui-même est devenu un étant-sous-la-main soumis à la manipulation technologique et mystificatrice. A cette nouvelle créature appelée « homme augmenté », le mythe préfère l’homme ulysséen qui s’affirme en créant. D’où le nouveau surnom du super-héros Tony le Mécano qui atteste de l’importance de la main humaine au cœur de l’univers technique qui a pour but non de manipuler les hommes et les choses mais d’émanciper à la fois l’individu et la communauté. Si la libération individuelle prend la forme concrète de la destruction volontaire de la part de Stark de toutes ses Iron armures à la fin d’Iron Man 3, l’émancipation collective s’attache une fois de plus au thème de l’héritage et de la transmission qui se manifeste sobrement avec la figure de jeune Harley Kenner pour prendre de plus en plus d’ampleur avec Spiderman.

La destruction des armures est un véritable feu d’artifice célébrant Noël qui marque à la fois l’adieu aux armes et la renaissance de Stark. Elle signifie de manière incontestable la libération du super-héros de ses angoisses. Le plan filmé en contre-plongée quasiment à la verticale crée un effet d’aspiration vers le haut et donc d’émancipation du personnage. L’étreinte de Tony et Pepper au premier plan marque leur amour enfin réalisé car en faisant exploser ses carapaces, Tony fait comprendre à sa fiancée qu’il va désormais laisser aller ses sentiments et lui ouvrir son cœur. D’ailleurs, le film y insiste encore en montrant, quelques images plus loin, Tony attacher un collier orné d’un bijou en forme de cœur autour du cou de Pepper.

L’émancipation du héros se fait donc autant par le cœur que par la main et la tête. L’Ulysse moderne ainsi réconcilié avec lui-même à travers toutes les dimensions de sa personnalité s’affranchit de sa dépendance aux objets technologiques qui le protègent autant qu’ils l’emprisonnent. La technique rejoint l’art au sein du mythe en ce qu’elle devient la métaphore de l’inventivité humaine qui ne se résume en aucun cas au nouvel Iphone ou à une quelconque innovation technologique mais coïncide avec l’énergie et la dynamique de l’esprit humain. Ce dernier n’a pas pour visée ultime de rendre l’étant disponible tel que professait Heidegger mais de s’émanciper, y compris de lui-même et de ses propres illusions. Si nous voulons résumer la trilogie d’Iron Man et même au-delà, l’ensemble de l’épopée Marvel, nous pouvons dire simplement qu’il s’agit d’un récit d’affranchissement progressifs des croyances et des apparences pour trouver, même dans la mort, le soi authentique dont la formule mythique consacrée demeure : I am Iron Man.

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