La fonction guerrière : Hulk et les jeux d’enfants

Plus la mythologie Marvel se développe, plus le super-héros sera assimilé à un enfant, colérique certes, mais joueur et ingénument puéril. Bien que le dernier épisode du cycle épique, Avengers : Endgame (2019), nous montre un personnage plus mature et davantage en paix avec lui-même, il n’échappe pas à cette perspective où peu à peu, l’enfant joueur qu’est Banner/Hulk va s’amuser, avec plus ou moins de réjouissance, avec tous ces coéquipiers Avengers. Le processus d’adoucissement des mœurs, ou paideia, n’a pas à emprunter nécessairement le chemin du sérieux et de l’étude. Il se déploie aussi dans la relation de partage et de confiance avec les partenaires de jeu. Et puisque nous empruntions déjà le schéma de la Belle et la Bête dans l’article précédent, continuons avec ses divers jeux avec Natasha Romanov, alias Black Widow.

La rencontre entre les deux personnages remonte à Avengers (2012) où Natasha était chargée par le directeur du SHIELD, Nick Fury, d’inviter Bruce Banner à rejoindre l’équipe sous prétexte de retrouver le Tesseract mais en vérité, Fury cherche à former un groupe de super-héros pour faire face à Loki. Leur entrevue se passe sous le signe du jeu de simulation grâce auquel chacun essaie de découvrir ce que dissimule l’autre. Cela commence dès l’ouverture de la séquence lorsque, pour l’attirer loin des habitants, Natasha a recours aux services d’une petite fille indienne qui supplie Bruce de venir soigner son père malade. Touché par ses larmoiements et sa mine affectée, il accepte de la suivre jusqu’à une maison isolée de la ville où la petite le plante au milieu de la pièce en sautant promptement par la fenêtre. S’avance alors Natasha derrière les voiles pour lui parler et le persuader de venir avec elle. Doutant de ses véritables intentions, Bruce cherche à lever le voile.

Il est à noter que les personnages apparaissent pour la première fois ensemble dans un même plan derrière une vitre et séparés par la barre verticale du carreau de la fenêtre. L’image entre alors en opposition avec le dialogue et la pleine transparence qu’essaye de jouer Natasha. La petite ampoule qui se situe près de la tête de Banner nous indique qu’il a bien une petite idée pour faire tomber les voiles de la dissimulation.

Nous assistons à un échec de la Belle face à la Bête qui semble plus intelligente que prévu. Echec qui va être confirmé dans la suite du film lorsqu’elle se montre incapable d’adoucir la colère de Banner qui se transforme en Hulk et commence à dévaster le Hélicarier, le porte-avion volant du SHIELD. Mais leur relation va évoluer à partir du second épisode des Avengers : Age of Ultron, (2015). A la place de la méfiance et la dissimulation vont se développer une confiance et une tendresse particulière entre les personnages. Dès le début du film, leur proximité quelque peu surprenante nous est révélée pendant la bataille contre les dernières troupes de Hydra postées en Sokovia, ancienne république soviétique totalement inventée, pour récupérer le sceptre de Loki. Une fois que les Avengers aient réussi leurs objectifs, Natasha doit aider Hulk à redevenir Bruce Banner, délicate opération que Captain America baptise la berceuse (lullaby).

Ils jouent donc ici à faire coucher le petit, jeu qui dénote une réelle tendresse de Natasha à l’égard de Bruce. Ce sentiment paraît à ce point du récit assez ambigu car il se situe entre affect maternel et attirance romantique. L’ambiguïté se poursuit dans la scène suivante lorsque Natasha vient discuter avec son partenaire durant leur vol de retour afin d’adoucir cette fois son esprit et d’alléger sa mauvaise conscience. Ne pouvant le persuader entièrement des bienfaits de sa fureur hulkesque, elle demande l’avis de Thor qui ne trouve rien d’autres à dire, avec une naïveté non feinte, que les portes de l’enfer sont remplies de cris de ses victimes. Ce qui semble être bien mal-à-propos. Ce point d’humour dans le scénario permet, en plus de détendre l’atmosphère, d’insister sur l’attention que Natasha accorde aux états d’âme de Banner, contrairement à d’autres de ses équipiers. Le spectateur va ensuite avoir le cœur net lorsque la super-héroïne va se livrer à un jeu de séduction durant la fête qu’organise Stark pour célébrer la bataille. Pendant leur discussion au bar, elle lui révèle à demi-mot qu’elle est tombée amoureuse d’un homme colérique mais qu’au fond, il est doux comme un duvet (fluff en anglais). Tout le monde a compris son allusion sauf bien entendu celui concerné, ce qui rend son ingénuité encore plus attachant. Mais ce jeu de séduction devient au milieu du film un jeu de vérité quand, après l’échec des Avengers face à Ultron et ses alliés, Natasha essaye de dévoiler ses véritables sentiments à Bruce. Or ce dernier, puisqu’il vient de saccager une ville sud-africaine, ressent plus que jamais sa culpabilité et sa monstruosité, aussi refuse-t-il les avances de sa partenaire en lui expliquant qu’il n’a rien à lui offrir, ni un doux foyer, ni des enfants, ni une vie stable et décente. Touchée par sa détresse, Natasha se laisse aller à la confidence et lui révèle qu’elle non plus ne peut avoir d’enfants car à la fin de sa formation d’assassin en ex-URSS, la tradition veut que les femmes soient stérilisées afin de ne pas connaître les inconvénients féminins durant les missions. Entre les deux personnages se nouent enfin une pleine confiance et une complicité authentique puisqu’à travers ce jeu de vérité, ils se rendent compte d’être rongés tous par la même angoisse, celle de la solitude et de la finitude car incapables de transmettre la vie. Toutefois, cette même angoisse les pousse à agir bien différemment. Alors que Natasha propose à Banner de s’accommoder de la réalité (run with it) quitte à s’accommoder avec lui (run with you), Bruce va tout simplement partir pour fuir la situation (run from it) à la fin du film ce, en restant seul dans le Quinjet en mode furtif. Et cette fuite s’avère au tant une fuite dans l’espace que dans le temps car nous le retrouvons dans Thor : Ragnarok (2017) sur une autre planète appelée Sakaar sous la forme de Hulk.

La fuite dans le temps nous est subtilement indiquée par la mise en scène qui place la dernière rencontre entre Hulk et Natasha dans un jardin d’enfant dévasté comme pour sonner la fin prochaine de la récréation. En effet, alors qu’elle tente de lui « chanter une berceuse », Ultron vient gâcher le moment de la sieste en leur tirant dessus. De manière métaphorique, nous saisissons que Banner sera condamné à régresser à l’état d’enfant sans possibilité de reprendre sa forme normale.

Cet état régressif est provoqué d’une part par le sentiment de culpabilité de Banner et d’autre part par le rejet et l’hostilité des hommes à l’égard de Hulk. Aussi, les mythologues de Marvel ont choisi de le faire réapparaître sur Sakaar, une planète dédiée aux divertissements et aux divers plaisirs, dans Thor : Ragnarok. Le partenaire de jeu privilégié de Hulk sera donc Thor, le Dieu du Tonnerre.

Après le combat que Thor a perdu à cause d’un coup pendable de la part du Grand Maître, il se réveille dans les appartements de Hulk. Le spectateur a ici l’occasion d’apprécier combien les décorateurs de Marvel ont fait des efforts pour réaliser une chambre d’enfant format XXL avec des jouets qui traînent partout et un énorme lit en forme de crâne de reptile géant. Dans le dialogue qui s’ensuit, Thor essaye de persuader Hulk de partir avec lui sur Asgard afin d’arrêter Hela, la déesse de la mort, avant qu’elle ne provoque le Ragnarok, la destruction annoncée de son monde. L’enfant résiste car il se sent à sa place sur cette planète et ne souhaite ni retourner sur Terre où il se croit malaimé ni voyager sur une autre planète. La conversation tourne alors à la chamaillerie de la cour d’école où chacun cherche à avoir le dessus. Thor tente alors de partir seul en traitant son ami de grand enfant mais se fait électrocuter sur le seuil de la porte, ce qui provoque l’innocente hilarité de Hulk. La situation semble s’empirer davantage lorsque la nuit venue, Thor, agacé d’être retenu en ce lieu contre son gré, commence à montrer des signes d’impatience. Hulk, plein de bonne intention, cherche à l’adoucir et à le réconforter en lui proposant de jouer à la lutte.

Le jeu tourne à l’affrontement car Thor a du mal à se contenir après tant de pertes, celle de son père, de son marteau Mjölnir, et commence à balancer les affaires de Hulk, ce qui a pour effet de l’énerver à son tour. Ce plan d’ensemble dominé par l’horizontalité permet de montrer les deux amis qui se font face comme dans un match de tennis, sauf qu’ils se lancent ici des « balles » de plus gros calibres et bien plus dangereux. Cet échange s’accompagne également d’un échange verbal quelque peu puéril sur les surnoms qu’on leur a donné.

Le match prend fin seulement lorsque Hulk se fâche parce que son copain s’est montré méchant en affirmant que la Terre ne l’aimait pas. Aussitôt, il se met à bouder dans son coin. Face à son attitude puérile, Thor se calme puis s’excuse. En guise de réconciliation, il le laisse avoir le dessus et accepte d’être comparé à une petite flamme pendant que Hulk se prend pour une incendie. Ainsi, ils deviennent de vrais amis, en plus des partenaires de jeux. Mais cet attachement enfantin peut entraîner des conséquences imprévisibles : alors que Thor a réussi à s’échapper de sa prison et à se faufiler jusqu’au Quinjet, Hulk détruit par mégarde le vaisseau en voulant retenir son ami. La dislocation s’arrête par miracle au moment où l’image de Natasha réapparaît à l’écran de la console, ce qui provoque la transformation de Hulk en Banner. Ce dernier, une fois revenu à lui-même, constate avec horreur qu’il est sur une planète étrangère et qu’il a perdu le contrôle de soi pendant deux ans. Cette fois, le film s’emploie à infantiliser Banner qui nous est présenté de manière extrêmement vulnérable à la fois physiquement et psychologiquement. En effet, sous sa forme humaine Banner n’est pas à même d’affronter les dangers physiques de ce monde hostile sans foi ni loi. Mais plus encore, désorienté et confus, il avoue de lui-même que son cerveau n’est plus capable de suivre et de faire face à la nouvelle situation. Thor doit dès lors jouer au psychologue pour détendre son ami et l’aider à se retrouver lui-même. Toutefois, avec sa délicatesse habituelle, il n’y est pas réellement parvenu. Dans cet échange d’un grand comique, le spectateur mesure l’ampleur de la désorientation du Dr Banner : il se comporte comme un enfant susceptible qui ne veut plus jouer au héros et affronter les monstres. Il ne s’adoucit seulement quand Thor l’assure qu’il le préfère à Hulk. Une fois de plus, Banner veut prendre la fuite mais pour être hors de portée de Hulk et non plus de lui-même. Pour cela, Thor lui propose de se déguiser afin de passer inaperçu. L’opération tourne également au comique car habitué aux entrées fracassantes, Thor croit qu’un simple chiffon sur la tête suffirait à se dissimuler et quant à Banner, puisqu’il est habillé comme Tony Stark, son déguisement semble tout trouvé. Toutefois, les costumes leur conviennent si mal que Banner se sent trop serré dans son pantalon, notamment au niveau de l’entre-jambe. La mise en scène et le jeu d’acteur font apparaître ainsi l’incohérence et le trouble de Banner qui envahit peu à peu son compagnon jusqu’au point de rendre comique leur attitude respective, de même que leur projet de fuir Saakar.

L’enjeu pour le héros herculéen dans Thor : Ragnarok reste clairement de retrouver son identité ou plutôt d’accepter les deux parts de lui-même et refuser la fuite pour faire face à la complexité de son âme. La fureur n’apparaît plus comme le danger suprême mais la régression et l’abandon de soi pour se plonger dans l’état mythique de pure volupté, état représenté par la planète Saakar toute entière. La sortie de ce stade régressif se fait symboliquement par l’anus du diable (the Devil’s Anus), surnom donné à un portail cosmique permettant de rejoindre Asgard. Sans aller jusqu’à faire de la psychanalyse sauvage, il est possible que ce nom a été choisi en référence au stade anal dans lequel les personnages (Hulk et la Valkyrie) se retrouvent coincés et qu’il s’agit de surmonter ce, grâce à la volonté et à la détermination de Thor. Son geste ne sera pas oublié puisque dans Avengers : Endgame (2019), Hulk/Banner aura l’occasion de lui rendre la pareille lorsque le dieu du tonnerre entrera à son tour dans une phase régressive après avoir échoué à empêcher Thanos d’exterminer la moitié de l’humanité. Pour faire face à sa douleur et à ses pertes, Thor devient un geek qui passe sa journée à boire et à jouer aux jeux vidéo aux côtés d’un homme de pierre et une bête bizarre qu’il a recueillis sur Saakar. Or ce n’est précisément pas à ces divertissements virtuels auxquels s’adonne Banner : fin du partenariat de jeux. Toutefois, leur amitié semble avoir résisté au choc puisque Hulk fait preuve, devant cette chute assez vertigineuse du guerrier divin, d’une douceur et d’une rare humanité face à la détresse et à la régression de son ami. En ce sens, il est véritablement parvenu à se réconcilier avec lui-même, à faire fondre les deux parts de sa personnalité en une nouvelle identité éthique irréductible. Cela, nous avons pourtant eu des doutes lors de sa première apparition dans ce dernier épisode de l’épopée.

Cinq ans après le passage éphémère mais dévastatrice de Thanos sur Terre, les super-héros tentent tant bien que mal de recoller les morceaux d’un monde brisé. Afin de découvrir un moyen de retourner dans le passé et sauver l’humanité de la catastrophe, Captain America, Natasha et Scott Lang (alias Antman) rendent visite à leur ancien compagnon le Dr Banner. Mais une surprise de taille les attend : au lieu de l’homme de science plein d’ingéniosité, ils se trouvent face à un être moitié Bruce Banner, moitié Hulk. Ses traits restent certes ceux de Bruce mais son corps est devenu totalement vert et hors norme.

Même si Banner explique qu’il a réussi à confondre ses deux personnalités après 18 mois passé dans un laboratoire, le spectateur se pose tout de même des questions quant à la fonction du héros dans la suite du film. D’autant plus que la mise en scène s’amuse à faire de lui une sorte de grosse mascotte à la Disney qui prend très à cœur son nouveau rôle et ses poses de photos souvenir avec les enfants. L’adoucissement excessif du guerrier risque d’avoir de graves conséquences pour sa carrière super-héroïque.

Ainsi, la nouvelle identité de Banner/Hulk paraît tout aussi problématique que celles d’avant. Bien qu’il ne soit plus soumis à des crises de fureur incontrôlable, n’est-ce pas un prix trop cher à payer cette perte de ce qui faisait son essence et sa singularité ? Sa popularité auprès des enfants nous enchante et nous inquiète à la fois car il n’est peut-être plus que l’ombre de lui-même. Plusieurs signes nous l’indique : la coloration verte de sa peau est devenue plus fade et pâle, ses tempes sont grisonnantes de même que sa barbe de trois jours. En d’autres termes, s’il semble plus cool, il est peut-être aussi moins porté à l’aventure et aux exploits épiques. D’ailleurs, la proposition de retourner dans le passé et de sauver le monde ne soulève que peu d’enthousiasme de sa part. Sa réponse reste prudente et hésitante : le voyage dans le temps est hors de son domaine d’expertise. Toutefois, il se laisse embarquer dans l’aventure et celle-ci sera l’occasion pour lui de jouer une dernière fois au scientifique.            

Afin de découvrir le secret du temps, il doit expérimenter. Son rat de laboratoire est tout désigné : Antman (Scott Lang), un super-héros capable de s’agrandir ou de se rapetisser jusqu’à la taille subatomique le permettant ainsi de s’introduire dans l’univers de l’infiniment petit et de voyager dans le flux du temps. Ce dernier s’avère être l’initiateur du projet Time Heist (braquage temporel) car il est le seul à revenir du royaume quantique après cinq années d’absence. Aussi se lancent-ils tous à l’aventure. Malgré l’incertitude du résultat de son expérience, Banner/Hulk joue l’optimiste pendant que Captain America, l’incarnation habituelle de l’optimisme américain, se montre sceptique et il a bien raison.

Evidemment, l’expérimentation tourne mal : au lieu d’envoyer Scott à travers le temps, Banner/Hulk envoie le temps à travers Scott. Il devient successivement un jeune adolescent, un vieil homme puis un bébé avant de revenir à sa temporalité initiale. Alors qu’il s’agit clairement d’un échec, Banner déborde d’enthousiasme. Son côté ingénu et insouciant reparaît de plus bel car il s’est bien amusé, ce qui exaspère Steve Rogers. Il est certain que Banner ne pourra pas trouver chez le représentant de la fonction royale un réel partenaire pour ses farces tant le Capitaine prend à cœur ses missions.

En dépit du caractère scientifique et expérimental du décor et des dispositifs technologiques, la scène nous invite plutôt à y voir un jeu de l’apprenti sorcier qui se plaît à triturer le réel. Toutefois, l’échec est à relativiser car désormais, Banner s’est laissé prendre au jeu et ne s’affiche plus guère sa mine sceptique lors de sa conversation au restaurant avec ses anciens compères. De ce fait, le film s’amuse à pousser plus loin cette expérimentation temporelle ce, jusqu’à faire du face à face de Banner avec lui-même une sorte de jeu parodique de soi.

Il pousse le jeu d’imitation jusqu’au bout en singeant ses propres grimaces qui, du fait de sa singerie, deviennent aussitôt bouffonnes au lieu d’être menaçantes. Le rythme de ses mouvements est considérablement ralenti comme pour mieux nous faire fois sa performance actorale et ses imitations hulkesques. Le comique fonctionne donc à la fois sur la répétition et la différence entre soi-même et l’autre en soi. La tension identitaire qui était source de conflit se transforme en motif de comédie grâce au jeu de l’acteur et à l’art cinématographique.

La métaphore des jeux d’enfant se cumule enfin dans cette scène pour rejoindre le jeu du comédien. L’univers du mythe se confond désormais avec celui de l’art où tout apparaît n’être plus que jeu. Cependant, affirmer cela ne signifie pas nécessairement que tout jeu doit viser une sorte de plaisir hédoniste ou que l’art se doit être ludique et divertissant. Loin s’en faut. En vérité, les jeux enfantins de même que les jeux artistiques supposent bien du sérieux, de l’application et de l’investissement physiques et mentaux car ils cherchent à créer du sens là où il n’y en avait pas, à faire apparaître des formes là où il n’existait que du chaos des émotions. Ainsi, au terme du cycle mythologique s’achève également la paideia de Banner/Hulk qui a réussi à réconcilier le monstre avec l’homme, l’enfant avec l’adulte, la fureur avec l’intellect dans la forme harmonieuse du jeu artistique où se conservent aussi bien l’enthousiasme juvénile que la beauté formelle. L’effet libérateur ultime de ce processus se manifeste dans la scène précédemment analysée à travers sa puissance comique qui, selon Hegel, correspond au degré suprême de l’autonomie artistique[1]. En effet, en faisant jouer Hulk une parodie de lui-même, le film renouvelle ici l’épopée des Avengers mais d’un point de vue grotesque pour faire rire là où le spectateur s’exultait des exploits des héros ou bien pleurait leur destin tragique. Par-là, l’esprit de l’art se réapproprie ses propres productions pour s’engager dans une réflexivité supérieure où il prend conscience de sa vraie nature radicalement autonome : l’esprit comique n’a plus affaire qu’à lui-même à la différence de la conscience épique qui reste encore complètement fasciné par ce qu’on lui raconte ou de la conscience tragique profondément affectée par les sentiments qu’on lui présente. La véritable douceur se trouve donc dans la légèreté de l’esprit.


[1] Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, op.cit., en particulier la section L’œuvre d’art spirituelle, pp. 807-828.

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