Pour donner une harmonie à l’ensemble des 23 films qui s’étalent de 2008 à 2019, Marvel Studios a recours de manière systématique à la structure trifonctionnelle des mythes indo-européens[1]. Celle-ci met en scène invariablement trois fonctions mythologiques qui correspondent aux trois fonctions sociales indispensables à toute communauté :
– La fonction royale ou sacrée désigne le besoin politique d’organiser et de gouverner les hommes.
– La fonction guerrière renvoie à la nécessité d’une défense militaire.
– Et en dernier, la fonction productive ou reproductive correspond à l’exigence d’une économie réelle afin de pourvoir aux hommes la nourriture et les biens ordinaires.
Pour Dumézil, ce schéma trifonctionnel témoigne d’une idéologie mythico-politique commune aux peuples indo-européens, par exemple grec, romain, indien, scandinave ou ossète… Une autre référence plus connue du grand public reste peut être la cité idéale divisée en trois castes imaginée par Platon où le mythique et le théorique se mêlent encore étroitement[2]. Mais si pour le philosophe, la structure trifonctionnelle semble être la clé théorique pour fonder politiquement le meilleur régime, dans l’épopée Marvel, elle est employée à des fins artistiques. Loin de voir dans ce schéma le modèle politique parfait auquel nous devons nous conformer, ou bien la recette miracle à suivre de façon mécanique, les Studios Marvel l’envisage plutôt comme un échafaudage sur lequel les récits épiques vont pouvoir se déployer. Durant la phase 1 qui compte 6 films (Iron Man, L’Incroyable Hulk, Iron Man 2, Thor, Captain America et Avengers), on a pris soin de développer successivement un par un les super-héros avant de les réunir dans Avengers où va clairement s’afficher la structure trifonctionnelle. Or avec la Phase 2, cette même trifonctionnalité va être parodiée par Les Gardiens de la Galaxie pour faire d’elle un thème sur lequel on peut varier à l’infini. La Phase 3, composée de 11 films, commence avec l’éclatement de la confrérie d’origine en deux groupes opposés dans Captain America : Civil War (2016). Pourtant, la structure se maintient : chaque équipe se reforme conformément au schéma trifonctionnel. Même la fin de l’épopée ne met pas un terme à cette structure puisque, malgré la mort de certains héros comme Tony Stark (Iron Man) ou Steve Rogers (Captain America), leur fonction symbolique persiste grâce à un rite de passation symbolique à d’autres héros. Nous pouvons ainsi remarquer une certaine permanence de la trifonctionnalité à travers toute l’épopée et ce, au-delà de la disparition physique de certains super-héros. Un rapide coup d’œil nous permet de mesurer l’importance de cette structure pour la mythologie Marvel. Avant de nous engager plus avant dans l’analyse spécifique des héros, voici un tableau récapitulatif des caractéristiques des trois fonctions :
Fonction | Caractères | Armes | Correspondance dans Avengers | Correspondance dans Les Gardiens de la Galaxie |
Royale | Vertueux, illustre, intelligent et pieux. Le Juste | Souvent sans armes, refus de la guerre | Captain America (bouclier) | Peter Quill (Star Lord) |
Guerrière | 2 types : -Le fort : type herculéen mais colérique, brutal et rancunier désire une efficacité physique immédiate -Le bienfaiteur : plus soucieux des heureux effets moraux ou sociaux de sa force | Massue ou la force de ses bras. Combattant solitaire, avant-garde. Combattant couvert et « hyperarmé ». Archer aux projectiles extraordinaires. | Hulk (mains nues) et Thor (marteau Mjöllnir) Iron Man (armure robotique ultra high-tech) | Drax et Gamora Rocket |
Productive (adjuvante) | Jumeaux : Beauté, docilité et serviabilité. | Classe mythologique qui ne combat pas. Dans la transposition épique, ils reprennent les armes de jet, caractéristique du type bienfaiteur. | Hawkeye (arc et flèches) et Black Widow (mains nues). Wanda (Sorcière Rouge) et Pietro Maximoff (Quicksilver). | Mantis et Groot |
[1]Pour une description plus précise et détaillée de cette structure, voir Georges Dumézil, Mythes et Epopées I, II, III, Paris : Gallimard, édition Quarto, 1995.
[2] Platon, La République, trad. Emile Chambry. Paris : Gallimard, coll. Tel, 1992.