Les super-héros : un art du mythe

Un peuple peut-il vivre sans ses mythes ? Assurément non car si tous ses rêves, ses désirs, ses fantasmes se sont éteints alors son existence se réduirait à un état de dénuement et d’euthanasie spirituels encore inconnu dans l’histoire humaine. Or l’inverse demeure vrai : même les peuplades « primitives » continuent à survivre dans leurs mythes malgré leur destruction physique et culturelle. La Grèce des héros est irrémédiablement révolue mais elle vit encore et toujours à travers la poésie d’Homère et d’Hésiode. La Chine des Trois Royaumes nous reste à jamais perdue et pourtant, elle continue à irriguer le cœur et l’esprit non seulement des générations et des générations de Chinois mais aussi de Vietnamiens, de Coréens ou de Japonais. Là où survit le mythe, survit l’essence spirituelle d’une culture.

Mais qu’en est-il de notre monde post-moderne dont on dit si souvent du mal, qu’il est vecteur de déracinement, qu’il est destructeur des traditions, qu’il favorise le consumérisme et l’individualisme, qu’il n’a pas d’autres valeurs que celle de l’argent, qu’il n’entretient pas d’autres esprits que celui du capitalisme ? Possède-t-il encore des rêves, des visions, des utopies, des mythes ? Est-il encore capable d’imagination et de création ? Toutes ces interrogations ne sont donc pas à prendre à la légère car elles nous portent au cœur même de notre monde spirituel et émotionnel contemporain. Tenter d’y répondre, c’est non seulement pénétrer dans le noyau mythique de notre culture mais aussi réfuter l’idée d’une tragédie de la culture qui va progressivement nous plonger dans la catastrophe et ainsi purifier l’univers de la présence néfaste de l’homme. Si notre culture se montre encore apte à créer et à entretenir ses mythes, alors même si elle doit périr et être engloutie par les flots du temps comme tant de civilisations déjà avant elle, son essence spirituelle pourra toujours survivre et se conserver dans ses formes mythologiques et artistiques.

Cependant, cette forme mythologique actuelle peut apparaître là où l’on l’attend le moins, notamment dans les films de super-héros américains. Malgré le fait que ces films ont pris soin de développer une mythologie originale avec une cohérence et une vigueur jusqu’ici inégalée dans l’univers cinématographique, ils ont souvent été relégués au statut de divertissement de masse. La polémique récente lancée par Martin Scorsese contre les films Marvel relève d’un vieux débat entre art et culture de masse et exacerbe l’incompréhension qui porte préjudice à la reconnaissance de ce phénomène culturel d’une ampleur dont on mesure encore mal l’impact et dont on n’a toujours pas achevé de tracer les contours.